Vous qui passez à Bariloche, regardez bien le volcan qui s’élève, figure tutélaire, depuis la frontière avec le Chili.
Un sommet de tous temps vénéré, voici pourquoi …
On raconte qu’il y a fort longtemps vécut dans les montagnes une tribu de guerriers, connue sous le nom d’Ennemi Invincible, qui n’avait ni voisins, ni alliés.
Toute armée qui s’aventurait sur son territoire sans autorisation était aussitôt anéantie, et ses combattants réduits en esclavage. Parmi les invincibles, il n’y avait pas de place pour les lâches.
Ce peuple avait pour chef le courageux et redouté Linco Nahuel, qui dans la langue mapuche (mapudungun) signifie « tigre bondissant ». Ce cacique inspirait une peur indescriptible, on disait de lui qu’il était insensible à quelque émotion que ce soit.
Parmi les nombreuses montagnes du royaume de Linco Nahuel, l’une en particulier était remarquable : le mont Amun-Kar, qui était considéré comme le trône de Nguenechen, le créateur du monde.
Un volcan divin
Parfois, cette montagne se mettait en colère et provoquait des catastrophes dans toute la région, crachant du feu vers le ciel, brûlant les forêts, abattant sur les mapuches des roches incandescentes.
Quand cela se produisait, les gens craignaient plus la fureur de la montagne que les armées de Linco Nahuel.
Un matin, alors que le peuple invincible campait dans la grande vallée aux pieds de l’Amun-Kar, les sentinelles rapportèrent à Linco Nahuel que le territoire était envahi par un groupe inconnu, composé de milliers de nains fortement armés, qui approchaient sur l’autre versant de l’Amun-Kar.
Bouillant de rage, Linco Nahuel réfléchit à la meilleure façon d’écraser ces étrangers comme des fourmis. Il convoqua ses lieutenants, et leur ordonna :
– Allez à la rencontre du chef des nains. Travestissez-vous. Revêtez des costumes en cuir de guanaco et de puma. Peignez votre visage de façon la plus terrifiante qui soit. Arborez des plumes de choique (autruche de Patagonie) les plus grandes et les plus noires. Et plus que tout, regard sévère, et peu de mots.
Ainsi vous les effraierez, et quand ils commenceront à se replier, nous leur porteront le coup de grâce pour les exterminer.
Les émissaires partirent confiants, mais revinrent humilié et furieux.
Ils rapportèrent à Linco Nahuel ce qui s’était produit.
– Les nains sont une tribu des montagnes, ils prétendent s’installer sur l’Amun-Kar. Ils disent qu’ils ne connaissent pas votre nom. Nous leur avons parlé de la fureur de la montagne, mais ils disent qu’ils n’en ont pas peur. Ni de cela, ni de rien. Ils se sont moqués de nous. Ils sont petits mais très courageux.
Linco Nahuel explosa, et immédiatement déclara la guerre !
Alors que l’armée invincible était prête à passer à l’attaque, ce furent les nains qui la surprirent en écrasant sous une pluie de flèches les mapuches, décimés.
Linco Nahuel fut fait prisonnier, et présenté au chef des nains, qui prononça sa sentence :
Tronador, le tonitruant
– Tous les prisonniers mapuches seront amenés au sommet de la montagne, d’où ils seront jetés dans ses entrailles. Linco Nahuel sera jeté le dernier, ainsi il pourra assister à la mort de tous ceux qu’il a condamnés par son arrogance avant de mourir lui-même.
Lorsque le premier mapuche fut amené au bord du précipice, Linco Nahuel demeura impavide.
Mais lorsqu’il le vit tomber dans ce trou qui semblait sans fin, il sentit pour la première fois de sa vie son sang se congeler dans ses veines sous l’effet de l’immense peur.
Soudain, la montagne fit entendre son premier rugissement ! Les roches commencèrent à voler en tous sens, avant de se convertir en boules de feu. Un épais torrent de lave emporta les mapuches et les nains, dont les cris d’effroi se confondirent dans la même nuée ardente.
Nguenechen, créateur du monde, ordonna aux deux chefs de s’assoir face à face pour contempler ensemble l’horreur provoquée par la folie qu’ils avaient commise d’amener la guerre sur sa montagne.
Et pour que leur châtiment soit éternel, il les transforma en statues de pierre.
Depuis lors, ils ont connu à d’innombrables reprises le feu de la lave et la morsure de la glace.
Ils sont condamnés à entendre le grondement sporadique de la montagne en colère, que les tribus de la vallée n’appellent plus la montagne Amun-Kar, mais Tronador (le tonitruant).
Les mapuches disent que les deux caciques attendent avec impatience le jour où Nguenechen dormira, pour qu’ils puissent enfin se réveiller et venger leurs peuples.