Randonnées en Bolivie

La cordillère Royale, monument naturel

MASSIF SACRE DES ANDES, la cordillère Royale s’élevait comme un infranchissable rempart entre l’empire inca et l’Amazonie…

Observés depuis les eaux tranquilles du lac Titicaca, les sommets agissent comme de véritables aimants. Méthodiquement alignés, ils forment une extraordinaire muraille, suite ininterrompue de sommets enneigés à plus de 6000 mètres d’altitude. Et constituent sans doute l’une des plus belles merveilles naturelles d’Amérique du Sud. Pas étonnant, au fond, si les premières civilisations décidèrent de s’installer durablement à ses pieds.

« Dieu est loin et nous devons négocier avec ses intermédiaires, les montagnes. »

Malgré ce proverbe aymara, ethnie indienne prédominante dans cette partie des Andes depuis plus de 1000 ans, les autochtones de la Cordillère Royale (nommée ainsi par les Espagnols) n’ont jamais été énormément attirés par les hauteurs. Même aujourd’hui, rares sont les Boliviens que l’on rencontre en haute altitude. Pour eux, la montagne demeure une divinité qu’il faut respecter, un voisin qui mérite des offrandes quand on ose le déranger. Et ces « gringos » étranges qui s’aventurent jusqu’à son sommet ?

Forcément, ils vont y chercher de l’or mais ils n’en parlent à personne… 

Le premier homme du vieux continent à découvrir l’Altiplano bolivien fut l’Espagnol Alejo Garcia, en 1524. Sa quête de l’or ne fut guère récompensée…

Il faudra attendre quelques siècles pour que d’autres explorateurs se mettent en marche vers ces régions d’altitude, avec un tout autre but, celui de conquérir les hauts sommets inviolés. Les premières expéditions dans la cordillère bolivienne remontent à la fin du 19ème siècle, à une époque où l’alpinisme était encore une activité exclusivement européenne. Les Andes ne feront pas exception et nombreux sont les refuges ou les voies d’ascension portant le nom d’un pionnier du vieux continent.

La cordillère Royale, sillonnée de chemins incas

Pourtant, la cordillère Royale, baptisée ainsi par les Espagnols, regorge de chemins pavés incas. Il n’est pas rare, aujourd’hui encore, d’en découvrir certains non répertoriés par les guides. Toutefois, un doute subsiste, chemin inca ou tiwanakota ? En effet, l’empire de Cuzco rayonna seulement deux cents ans au cours desquels les Incas ont assimilé les techniques et connaissances des civilisations antérieures, en particulier celle de Tiwanaku. On peut penser que les architectes et ingénieurs des chemins furent les mêmes que ceux de la porte du Soleil. Les Tiwanakotas, à leur apogée, étaient suffisamment développés et puissants pour mener à bien la construction de ces routes entre l’Amazonie et les Andes. Sûrement les Incas les ont-ils simplement achevées ou améliorées.

Il ne reste cependant aujourd’hui aucune trace d’éventuelles ascensions des Incas dans cette cordillère et ces farouches guerriers n’ont certainement même jamais atteint ses cimes les plus hautes, à 6000 mètres et au-delà (ascensions techniques pour la plupart).

Ils se contentaient sans doute de contrôler les accès des quelques cols qui offrent un passage inespéré entre l’Altiplano et les Yungas, cette région tropicale paradisiaque, aux dénivelés abrupts et impressionnants, coincée entre les parois minérales andines et les immenses plaines amazoniennes. Les milliers de ruisseaux qui naissent ici, alimentés entre autres par la fonte des glaciers de la cordillère, conduisent droit à l’Amazone, lequel était remonté vers ses sources par les Guaranis, ennemis des Incas.

Cette situation géographique confère à la cordillère Royale sa première originalité : selon le versant où l’on se trouve, l’environnement, tant humain qu’écologique, change considérablement. Des sommets, on se trouve à équidistance de deux mondes opposés.

Versant Yungas, les pluies et le brouillard sont très fréquents et il faudra donc envisager des ascensions côté Altiplano, plus clément. Quand le ciel est dégagé, en revanche, les lieux semblent peut-être moins hostiles, moins durs. Sûrement est-ce la proximité et l’assurance d’odeurs de fruits aux saveurs étranges, de bruits de cascades vertigineuses. Car un peu plus bas, la végétation s’épaissit encore, jusqu’à prendre des allures de forêt vierge. Et la vie ressurgit de toutes parts : sur les routes sinueuses, des camions colorés, anachroniques, chargés d’agrumes ou de passagers, font des virages incroyables. La terre devient fertile, généreuse. On y cultive tout : des melons, des mangues, de la papaye, du café, beaucoup de coca, au milieu des colibris et au son de la «cumbia», dans un décor défiant l’imagination. Tout y est différent et l’on a peine à imaginer, lorsqu’on sirote un jus de maracuja une main ballante dans l’eau fraîche du torrent, la montre bien au fond du sac, qu’on se trouve à proximité de cordées d’andinistes à la quête d’un sommet, endurant le froid et le mal d’altitude, le ‘sorroche’ des montagnes…

Versant Altiplano, le regard porte jusqu’au lac Titicaca et sa population aymara, chargée d’histoire, de légendes et de traditions séculaires.

Carrefour des plus anciennes civilisations amérindiennes, lieu de passage de grands destins historiques, le lac Titicaca a depuis toujours exercé un grand pouvoir de fascination sur les voyageurs et les conquérants. De l’empire de Tiwanaku aux Boliviens en passant par les Incas et les Espagnols, tous ont fait de ce joyau naturel un de leurs hauts lieux religieux.

Aujourd’hui encore, des milliers de pèlerins venus de toute la Bolivie continuent de s’y rendre lors des fêtes de Pâques pour se recueillir devant la Vierge Noire de Copacabana.

Pendant ce temps, comme depuis toujours, les voiles des bateaux de pêche se croisent dans les eaux tièdes du lac sous la lumière aveuglante du Dieu Soleil, Viracocha.

C’est ce lieu que Viracocha choisît pour y déposer ses enfants : Manko Capac, le premier Inca, et sa soeur, Mama Ollko, qui plus tard allaient fonder la capitale de l’empire, : Cuzco, « Nombril du monde ».

Les croyances ici se mêlent aux légendes et il n’est par rare de se faire conter l’une d’elles par l’un des sages du village de Kalahuta ou de Tiquira. En toute simplicité, autour d’un feu quand l’heure du bivouac est venue, sous une voûte étoilée d’une pureté cristalline…

En contrebas, vers l’Amazonie, les Yungas

Versant Yungas, les pluies et le brouillard sont très fréquents et il faudra donc envisager des ascensions côté Altiplano, plus clément. Quand le ciel est dégagé, en revanche, les lieux semblent peut-être moins hostiles, moins durs. Sûrement est-ce la proximité et l’assurance d’odeurs de fruits aux saveurs étranges, de bruits de cascades vertigineuses. Car un peu plus bas, la végétation s’épaissit encore, jusqu’à prendre des allures de forêt vierge. Et la vie ressurgit de toutes parts : sur les routes sinueuses, des camions colorés, anachroniques, chargés d’agrumes ou de passagers, font des virages incroyables. La terre devient fertile, généreuse. On y cultive tout : des melons, des mangues, de la papaye, du café, beaucoup de coca, au milieu des colibris et au son de la «cumbia», dans un décor défiant l’imagination. Tout y est différent et l’on a peine à imaginer, lorsqu’on sirote un jus de maracuja une main ballante dans l’eau fraîche du torrent, la montre bien au fond du sac, qu’on se trouve à proximité de cordées d’andinistes à la quête d’un sommet, endurant le froid et le mal d’altitude, le ‘sorroche’ des montagnes…

Versant Altiplano, le regard porte jusqu’au lac Titicaca et sa population aymara, chargée d’histoire, de légendes et de traditions séculaires.

Carrefour des plus anciennes civilisations amérindiennes, lieu de passage de grands destins historiques, le lac Titicaca a depuis toujours exercé un grand pouvoir de fascination sur les voyageurs et les conquérants. De l’empire de Tiwanaku aux Boliviens en passant par les Incas et les Espagnols, tous ont fait de ce joyau naturel un de leurs hauts lieux religieux.

Aujourd’hui encore, des milliers de pèlerins venus de toute la Bolivie continuent de s’y rendre lors des fêtes de Pâques pour se recueillir devant la Vierge Noire de Copacabana.

Pendant ce temps, comme depuis toujours, les voiles des bateaux de pêche se croisent dans les eaux tièdes du lac sous la lumière aveuglante du Dieu Soleil, Viracocha.

C’est ce lieu que Viracocha choisît pour y déposer ses enfants : Manko Capac, le premier Inca, et sa soeur, Mama Ollko, qui plus tard allaient fonder la capitale de l’empire, : Cuzco, « Nombril du monde ».

Les croyances ici se mêlent aux légendes et il n’est par rare de se faire conter l’une d’elles par l’un des sages du village de Kalahuta ou de Tiquira. En toute simplicité, autour d’un feu quand l’heure du bivouac est venue, sous une voûte étoilée d’une pureté cristalline…

La cordillère, terre de mythes

A ces mythes incas, les aymaras ajoutèrent les leurs. Illimani, Huayna Potosi, Illampu, Sajama, que de noms étranges pour nous autres Européens ! Pour en comprendre la signification, il faut s’intéresser à la mythologie andine, transmise de génération en génération, et toujours aussi présente dans les croyances populaires.

« Pacha » est le père du monde, le Dieu cosmique des Andes. Grand maître des hauteurs, des montagnes et des fleuves, il se divisa en 3 forces fondamentales, chacune d’elles étant représentée par un Dieu. Ils forment à eux trois une Trinité: « Pachama« , l’essence universelle, « Wira« , l’énergie qui anime le monde, et « Kjuno« , la force destructrice. D’où « Pacha Tata« , le Père du monde inca, « Wira Kocha » le détenteur des eaux de la terre et « Jacha-Kjuno« , le grand destructeur descendu des neiges. Vous êtes encore là ?

Pendant qu’une divinité construit, une autre détruit avec la même force. « Wira » choisit les pierres pour édifier les montagnes. « Kjuno » choisit pour son œuvre néfaste les avalanches et les glaciers, fixant sa rage destructrice pour toujours dans la misère minérale. Et quand, à l’issue de ces terribles guerres, les divinités se rendirent compte de la beauté des Andes, elles se transformèrent en de splendides pics de roche et de glace, dominant de leur tête le monde des hommes. Ces Dieux de la neige ont pour nom Illampu, élevé à la gloire du soleil, Illimani, consacré à la lune ou Huayna Potosi, le plus jeune d’entre tous qui garde en son sein les secrets des anciens.

L’ensemble de ces croyances crée une atmosphère propre aux ascensions de la cordillère Royale. Mais le postulant au sommet n’aura sûrement pas besoin de ce parfum mystérieux pour ressentir l’envie d’aller chatouiller les sommets environnants.

Ce fut mon cas. Quand on habite La Paz, il est naturel de gravir ces sommets que l’on admire depuis sa fenêtre dès le réveil. Mon plus beau souvenir reste l’ascension de l’Ancohuma. Nous devions séjourner une semaine à plus de 6000 m pour un forage au cours d’une mission de glaciologie. L’équipe avait fière allure et c’est après le sacrifice de quelques poulets à la Pachamama que nos coéquipiers boliviens voulurent bien entamer l’ascension. Ou alors c’était pour reculer le moment de porter son sac. Nous étions, il est vrai, surchargés de tubes de forage, d´équipements lourds, et de provisions inadéquats. Pour l’anecdote, Bernard Francou, chef d’expédition et andiniste de grande expérience, avait fait acheter des sacs entiers d’oranges ! Aujourd’hui encore, je ne comprends pas ce qui lui prit, à une époque où les produits lyophilisés ne sont pourtant pas si mauvais. D’autant plus que son anniversaire étant prévu durant le séjour en altitude, nous nous étions surchargés de bonnes bouteilles de vin français. Une équipe de tournage, aguerrie aux conditions difficiles, nous accompagnait à l’occasion de cette mission (Stéphane Peyron). Deux jours plus tard, elle redescendait au grand complet, en manque d’oxygène et sans goûter aux bonnes bouteilles, conservées sans trop de difficulté au frais.

A notre grand regret, car nous aurions été bien heureux de filmer ce qui allait suivre. La tête de forage allait se coincer à une dizaine de mètres de profondeur soit à environ 6180 m d’altitude. Nous allions nous relayer deux bonnes journées pour tailler des escaliers dans la glace, sculptant ainsi une bien profonde piscine dans la glace, sur le beau plateau de l’Ancohuma. Le sommet sera atteint quelques jours plus tard, après avoir rempli notre mission et récupéré l’instrument de forage. Temps splendide, équipe d’enfer, massif très esthétique, aventure humaine, que rêver de mieux ?

Par Fabrice Pawlak et Patrick Wagnon

in Sommets Incas, les plus belles courses des Andes

Ed. Glénat