Dans deux des principaux dictionnaires brésiliens, le mot caiçara a, parmi d’autres significations, la définition d’une palissade en bois autour d’une plantation, ou d’un morceau de branche couché dans l’eau pour attirer le poisson, ou encore un rustre, un voyou, un vagabond. En conclusion, on généralise un aspect particulier (quelques éléments spécifiques, présents dans la vie caiçara sont considérés synonymes de caiçara) ou, encore on utilise des qualifications préjugées pour traiter de quelque chose qui a un sens bien plus large.
En réalité, les caiçaras sont les habitants de communautés traditionnelles qui, depuis le XVlle siècle, vivent sur les plages et les îles du sud de Rio de Janeiro jusqu’au nord de Santa Catarina et dont les caractéristiques se sont consolidées entre le milieu du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle. Aujourd’hui, on rencontre des populations caiçaras dans 17 municipalités de cette région.
Les Caiçaras, pêcheurs et agriculteurs
Les principales caractéristiques de cette culture sont l’association entre la pêche et l’agriculture, l’importance de la culture du manioc et de sa transformation en farine, les relations sociales individualisées dans un groupe et dans le noyau familial, la réciprocité et la solidarité dans la vie quotidienne, l’absence de notion d’autorité formelle, le peu d’importance donné à la religion officielle et au mariage, en tant qu’institution civile et religieuse, le respect des plus anciens et l’attachement à l’endroit, à la plage où chacun est né. Il s’agit d’un ensemble de valeurs, de visions du monde, de pratiques connues et de symboles partagés qui orientent les individus dans leurs relations entre eux mais aussi dans leur relation à la nature.
Cela s’exprime matériellement dans le type d’habitation, d’embarcation, d’outils de travail mais aussi dans le langage, la musique, la danse, les rituels, les mythes.
En vivant entre la forêt atlantique tropicale et la mer, sur les plages, auprès des estuaires, dans les mangroves, près des bancs de sable et au bord des lagunes, et utilisant les ressources naturelles pour reproduire leur mode de vie, les caiçaras ont conservé un territoire riche en diversité biologique et culturelle. Ils ont joué le rôle de gardiens de la nature, dans la mesure où ils occupent, depuis des siècles, les mêmes espaces sans épuiser leurs possibilités, sans les dégrader.
Le savoir traditionnel sur les êtres vivants de la mer et de la forêt, transmis oralement, de génération en génération, a aidé à élaborer des systèmes ingénieux de manutention. Le caiçara possède une vaste connaissance de la nature, surtout en ce qui concerne la prévision du temps, fondamentale pour la pêche, prévision obtenue par l’observation sur le type de vent, de nuage, de marées, de courants maritimes, de phases et positions de la lune.
Dans les villages caiçaras, on utilise des technologies de pêche artisanale : hameçons, filets à grosse maille et “cercos” pour attraper le poisson. Dans les plantations, ils ont l’habitude de travailler à la façon indigène, à l’exemple de la méthode de plantation de “pousio” qui consiste à défricher la forêt, brûler de petits espaces et planter ; l’année suivante, ils font la plantation à un autre endroit et laissent la terre précédemment travaillée se reposer.
Dans un village caiçara, il n’y a pratiquement pas de clôtures et les jardins se mélangent, entrelaçant arbres fruitiers et fleurs. Les maisons se cachent au milieu de la végétation, mais les nouvelles volent, et il y a toujours quelqu’un voulant raconter ou savoir une nouveauté.
Les Caiçaras, une culture qui s’exprime dans la langue
Les caiçaras ont également une manière de s’exprimer qui leur est propre, utilisant des termes qui ne laissent aucun doute sur leur identité.
Vivant dans des endroits isolés, où l’élément naturel a une forte présence, ils ont développé un imaginaire riche et varié : ils croient en des âmes plumées qui errent dans le silence des nuits claires de pleine lune, entre hurlements et gémissements ; ils croient aux mules-sans-tête dans lesquelles se transforment les personnes qui ont des amours illégitimes ; ils croient au serpent « caninana » tétant la femme qui allaite le petit dernier ; ils croient à la « caipora » ou « capitão-do-mato », qui sont des êtres enchantés qui protègent les animaux et la forêt et imposent des limites aux chasseurs et bûcherons, punissant ceux qui ne respectent pas la période de reproduction des espèces.
Leur économie, marquée par la petite production, s’est organisée en fonction des cycles de monoculture du Littoral du Sud-est, fournissant à ces périodes aliments et main d’œuvre. Quand les cycles de la canne à sucre et du riz se sont terminés, les communautés ont recommencé à produire pour elles-mêmes, et le peu d’excédents était vendu aux villes littorales, avec lesquelles ils ont toujours maintenu des relations commerciales.
Les communautés occupent des territoires discontinus, avec des petits noyaux de populations éparses qui ont le même mode de vie, mais qui présentent des variations régionales dans le vocabulaire et dans leurs différents degrés de relation avec les villes.
Le territoire est occupé par plusieurs générations et le groupe social se reproduit économiquement et socialement. L’unité familiale est de grande importance, de même celle du foyer et de la communauté ; les liens de parenté ou d’amitié sont fondamentaux pour l’exercice des activités économiques, sociales et culturelles.
Les communautés ont une division technique et sociale du travail réduite.
Le travail artisanal prédomine, le producteur et sa famille ont coutume de mener la fabrication de A à Z.
L’occupation désordonnée du littoral et la création d’unités de conservation en zones traditionnellement occupées par les caiçaras ont conduit à un grand exode vers les villes et à la disparition de beaucoup de communautés.
La culture caiçara est née, s’est développée et a été marquée par des changements si fréquents que le propre changement fait partie de son mode de vie.
À partir des années 1980, a commencé, malgré tout, à se former une nouvelle identité caiçara, fruit de chocs contre la spéculation immobilière et l’autoritarisme écologique. Et aujourd’hui, on perçoit même une auto-identification des habitants traditionnels des plages : ils sont fiers d’être caiçaras, de leur mode de vie et de leurs traditions.
Par Elias Fajarado