Randonnées en Colombie

La gota fría, quintessence du vallenato

Parmi les nombeux styles musicaux que compte le vaste patrimoine culturel colombien, le vallenato occupe une place majeure.

Fruit de la rencontre de traditions et rythmes indigènes, africains et espagnols, il représente le complexe métissage colombien, dont il est le symbole par excellence.

Pour illustrer le vallenato, une chanson à l’origine savoureuse et au destin magnifique : la gota fría.

La chanson apparaît en 1938, comme conséquence de la rivalité qui oppose deux musiciens du nord du pays : Emiliano Zuleta, vedette du département de la Guajira, et Lorenzo Morales, une idole dans le département voisin du Cesar.

Tous deux revendiquent le titre de meilleur « acordeonero » de la région, et l’on convient d’un duel musical pour les départager.

Cela correspond tout à fait à une époque où ni le disque ni la radio n’ont encore pénétré dans les foyers ruraux, et où la musique est avant tout celle qui est jouée « en vivo » (en direct).

Cela vient aussi en droite ligne de la coutume des « piquerias » (littéralement « où l’on s’envoie des piques »), joutes orales qui s’inscrivent elles-mêmes dans la tradition latine, et au cours desquelles il s’agit moins de démontrer sa virtuosité que d’improviser des vers tournant en ridicule l’adversaire, que ce soit à propos de son physique, de son origine sociale ou de son comportement.

Une culture du verbe et de la répartie qui, malgré la disparition quasi totale des piquerias, reste l’une des marques de fabrique des Colombiens.

Le duel est organisé dans la petite ville d’Urumita, à l’extrême sud de la Guajira, à la frontière avec le Cesar, à l’occasion d’une « parranda » (fête populaire célébrée à grand renfort de musique et d' »aguardiente » –eau de vie-).

L’épisode est rapporté de façon imprécise, et son déroulement diffère selon les sources …

La seule chose qui semble avérée, c’est que les deux musiciens se redoutent mutuellement.

Après ?

 

Zuleta se retire-t-il, prétextant un malaise, en début de soirée ?

Ou bien est-ce Morales qui, préssentant le triomphe public de son rival, s’éclipse discrètement pour éviter l’humiliation ?

Toujours est il que le duel tant attendu n’a pas lieu.

Il restera néanmoins dans la légende car Zuleta compose une chanson dans laquelle il donne très personnellement sa version des faits.

Sur un air gai et entraînant, il brocarde son adversaire avec une telle causticité qu’il lui taille un costard pour l’éternité.

La chanson rencontre un immense succès, et devient l’un des plus grands standards du vallenato, et, au delà, de l’ensemble du folklore colombien (au point qu’elle fut même proposée comme hymne officieux de la Colombie).

Elle sera reprise maintes fois, et par des interprètes parmi les plus célèbres (Guillermo Buitrago, Daniel Celedon, Julio Iglesias, Grupo Niche, Shakira, l’Orchestre Philarmonique de Bogotà …), mais c’est sans conteste la version enregistrée en 1993 par Carlos Vives qui donna une résonnance internationale à la gota fría.

Revisitée, la chanson s’habille de sonorités modernes tout en conservant les éléments folkloriques originaux (les instruments classiques du vallenato, auxquels fut judicieusement associée une flûte traditionnelle), ce qui lui valut de figurer au sixième rang du classement « Hot Latin Songs » (l’équivalent latino du Top 50).

suivre l’actualité de Carlos Vives

L’histoire connut un épilogue touchant puisque Zuleta et Morales devinrent malgré tout amis (des années après leur fameux « duel ») et le restèrent jusqu’à leur disparition (en 2005 à l’âge de 93 ans pour Zuleta, en 2011 à 97 ans pour Morales).

Pour les hispanophones, deux documents intéressants

l’histoire de la chanson racontée par Zuleta et Morales eux-mêmes

 

les retrouvailles entre Zuleta et Morales à Urumita en 1991

Carlos Vives - la gota fría

acordate Moralito de aquel día souviens toi Moralito de ce jour

que estuviste en Urumita où tu vins à Urumita

y no quisiste hacer parranda et où tu refusas de participer à la parranda

te fuiste de mañanita tu t’es débiné de bon matin

sería de la misma rabia sans doute miné par la rage

BIS BIS

en mis notas soy extenso dans mes accords je suis un prince

a mí nadie me corrige moi, personne ne me corrige

BIS BIS

para tocar con Lorenzo pour jouer avec Lorenzo

mañana sábado, día de la Virgen demain samedi, jour de la vierge

BIS BIS

me lleva él o me lo llevo yo il me mate lui ou je le mate moi

pa’ que se acabe la vaina pour que cette embrouille prenne fin

BIS BIS

ay ! Morales a mí no me lleva ah ! Morales tu ne me muselles pas

porque no me da la gana parce que je n’en ai simplement pas envie

Moralito a mí no me lleva Moralito tu ne me muselles pas

porque no me da la gana parce que je n’en ai simplement pas envie

que cultura, que cultura va a tener quelle culture, oui quelle culture il aura

un indio chumeca como Lorenzo Morales un pignouf d’indien comme Lorenzo Morales

que cultura va a tener quelle culture il aura

si nació en Los Cardonales lui qui est né à Los Cardonales

BIS BIS

Morales mienta mi mama Morales crache sur ma mère

solamente pa’ ofender seulement pour m’offenser

BIS BIS

para que él también se ofenda pour qu’il s’offense lui aussi

ahora le miento la de él maintenant c’est moi qui outrage la sienne

BIS BIS

me lleva él o me lo llevo yo il me mate lui ou je le mate moi

pa’ que se acabe la vaina pour que cette embrouille prenne fin

BIS BIS

ay ! Morales a mí no me lleva ah ! Morales tu ne me muselles pas

porque no me da la gana parce que je n’en ai simplement pas envie

Moralito a mí no me lleva Moralito tu ne me muselles pas

porque no me da la gana parce que je n’en ai simplement pas envie

Moralito, Moralito se creía Moralito, Moralito s’imaginait

que él a mí, que él a mí me iba a ganar que lui, oui lui, il allait me battre

y cuando me oyó tocar et quand il m’a entendu jouer

le cayo la gota fría il a pris une véritable douche froide

BIS BIS

al cabo él la compartía à la fin il était complètement rincé

el tiro le salió mal … il a fini la queue entre les jambes …

BIS BIS